beauté

Attention, un personnage peut en cacher un autre ! Après Pietrolino, Mauvais genre, Docteur Radar et City Hunter, qui – chacun à sa façon – use d’un masque et cache sa personnalité derrière une façade, les copains de K.BD et moi-même vous proposons de finir ce mois en beauté. Sans jeu de mot pourri s’il vous plait… Champi, sors de là !

Beauté justement, c’est d’abord Morue, jeune paysanne repoussante et souffre-douleur du village. Dans ce monde venu tout droit de nos contes de fées traditionnels où il est de bon ton de savoir séduire le petit seigneur du coin, la laideur est une faute. Mais voilà, c’est ainsi, Morue n’y peut rien, elle est née comme ça et doit subir les désagréments habituellement réservés aux Cendrillon et autres Peau d’âne. Dans son malheur, au moins peut-elle compter sur Pierre, le seul à voir en elle la fille innocente et aimable qu’elle cache sous ses traits disgracieux.

Quel rapport avec la dualité, les clowns, tout ça, me demanderez-vous ? J’y viens : c’est gentil de m’offrir une porte de sortie, on commençait à s’embourber. Le rapport, c’est qu’un jour à bout de force, Morue s’enfuit pleurer tout son soûl sur un pauvre crapaud qui passait par là et n’avait rien demandé.

Rien ? Que me chantez-vous là ? Ce crapaud est justement la fée Mab enfermée par de méchantes consœurs dans le corps de ce petit animal et libérée par les larmes de pitié de Morue. Pour la remercier, elle lui offre de devenir belle aux yeux des autres. Non, pas belle tout court, ç’aurait été trop simple : elle reste moche, mais les autres la voient belle, et c’est là que notre héroïne dégaine son masque, un masque magique offert par une fée.

Sauf que ladite fée est sacrément tordue. La rendre belle était trop simple ? La rendre juste jolie aurait suffi ? Mais non, la voici en canon de beauté. Résultat, c’est l’effet inverse : tous les hommes lui sautent dessus. Sauf Pierre, ce gentil Pierre qui ne voit toujours en Morue que la fille innocente et aimable qu’elle cache sous ses traits magnifiques. Ces dames ? Elles deviennent bien sûr terriblement jalouses. Et nous voilà à suivre les aventures et mésaventures de la demoiselle, rebaptisée Beauté, dans cet univers de contes de fées, au milieu des plus grands princes, dans la folie et la démesure pour trois tomes qui se bonifient avec le temps.

Aux manettes de ce triptyque : deux noms, trois têtes.
Hubert d’une part. Plutôt habitué aux pinceaux, on le retrouve coloriste dans de très nombreux titres. Il s’acoquine notamment avec Jason dont il colorise Athos en Amérique, Le dernier mousquetaire, L’île aux cent mille morts et bien d’autres. Une première en tant que scénariste ? Non plus, car il a déjà signé Miss Pas Touche avec Kerascoët, ses acolytes sur Beauté.
Oui « ses » acolytes puisque Kerascoët est le pseudonyme porté par Marie Pommepuy et Sébastien Cosset, du nom du village natal et breton de la première. Un pseudonyme déjà réputé après quelques titres seulement dont Jolies Ténèbres et Voyage en Satanie aux côtés de Fabien Vehlmann. C’est justement avec Hubert et son héroïne Blanche qu’ils rencontrent l’adhésion du public. Finalement, ce Beauté s’annonce plutôt bien non ?

Car à eux trois, ils proposent un objet attrayant et subtil. « Un dessin extrêmement lisible, au style très fin et rehaussé par une mise en couleurs simple, mais efficace » souligne Yvan. Pour ma part j’ai été charmée par la maîtrise avec laquelle Kerascoët alterne les représentations de l’héroïne : « Tantôt sublime aux yeux des autres, tantôt laide qu’elle est, Kerascoët joue à merveille la double identité de Beauté, la sublimant encore aux moments opportuns. ».
Livresse (jeune recrue que nous devrons rapidement vous présenter) a testé pour nous la version intégrale et témoigne d’un ouvrage d’une grande « préciosité » où le noir et blanc côtoie une teinte ocre monochrome.

Ce qui nous a séduit dans cette série, c’est que les auteurs ne se sont pas arrêtés à un décor pour y planter une histoire banale : le contexte est prétexte à réflexions.

Les thèmes abordés ne sont pas anodins.

  • Celui de l’apparence d’une part : « C’est fou ce que la perception des gens change en fonction de ce qu’ils voient » s’étonne Lunch ! Là où une personne laide sera repoussée, la personne belle est convoitée, adulée et favorisée. Cela ne rend pas pour autant heureux. C’est le message le plus évident de cette histoire encore que ce n’est ni le plus original ni le plus profond. Cela dit, la façon dont il est abordé le rend réellement pertinent, mais on y reviendra.
  • Il y a une bonne petite dose de féminisme, en particulier grâce au personnage de la princesse Claudine dont on ne se lasse jamais.
  • Un peu de philosophie religieuse au passage : le rôle et l’impact des croyances dans la soumission et l’organisation sociales.
  • « Cette histoire repose sur les ressorts de la logique, de l’intelligence, du courage et de la prise de conscience d’une force intérieure ». David le dit tellement bien qu’il serait absurde de tenter de le paraphraser !

Pour pouvoir raconter tout cela sans lasser le lecteur, les auteurs se sont appuyés sur un genre très classique certes, mais également très codé que nous avons eu l’occasion d’effleurer pas plus tard que le mois dernier. Les codes sont parfaitement digérés, assimilés et régurgités pour dépeindre un monde nettement moins formidable que celui développé par l’imaginaire collectif : les fées ne sont peut-être pas si bonnes que ça, les belles princesses ont sans doute omis d’être intelligentes et les preux chevaliers aussi. Livresse résume : « Tous les ingrédients sont réunis pour composer une fable classique. Classique, il est vrai, mais enrichie d’une dimension philosophique et d’une profondeur fascinantes ».

Bref, vous vous imaginez bien que pour un tel rendu, les auteurs ont dû s’appuyer sur une galerie de personnages croustillants à souhait ! Jalousie, folie, cruauté, convoitise, bêtise, naïveté sont les principales qualités que nous rencontrons chez tous ces gens formidables.
L’héroïne elle-même n’est pas à plaindre : fragile et innocente certes, mais surtout sacrément idiote, elle doit apprendre de ses erreurs et surmonter les épreuves avec courage pour pouvoir sortir de l’impasse dans laquelle elle est fourrée.

On l’a dit :
David : « Iconoclaste, sombre et intelligente, cette aventure est une quête féminine et féministe à la fois. »
Livresse : « Morue-Beauté est laide et belle à la fois. L’être et le paraître se confondent pour créer un personnage consistant en quête d’identité. »
Lunch : « Voilà qui devrait ravir les amateurs de manipulations en tous genres. »
Yvan : « En changeant la perception que les autres ont d’elle, la fée transforme Morue en Beauté. Ce changement va totalement modifier son existence et mettre à jour ses faiblesses, dévoilant ainsi le rôle important joué par l’apparence. »
Et moi : « Dans un univers féérique peuplé de preux chevaliers, de belles dames et de loyaux sujets, où les princes et les princesses reçoivent un don des fées à leur naissance, Hubert met à l’épreuve l’humain. »

Badelel

Une réponse "

  1. Marion dit :

    Il me fait de l’oeil depuis des mois…

  2. Lunch dit :

    Il faut foncer alors :)

Laisser un commentaire