entete koma

Depuis sa plus tendre enfance, Addidas est très régulièrement frappée par un étrange mal, qui la plonge à chaque fois dans un bref coma. Sans raison, sans explication et sans crier gare, la petite brune aux grands yeux noirs tombe d’un seul coup pour se réveiller quelques minutes plus tard. Après chaque crise, elle reprend peu à peu ses esprits, sort un crayon de sa poche et trace un nouveau trait dans un calepin, qui semble vouloir rappeler qu’elle n’en est pas à sa première absence, … ce carnet étant déjà le deuxième du nom.
Passant ses journées à ramoner les conduits les plus étroits des nombreuses cheminées de la ville, il faut dire qu’elle ne mène pas une vie de tout repos. Le métier de ramoneur n’est pas sans risques, mais les temps sont durs et, grâce à sa petite taille, elle parvient à se glisser là où la concurrence ne peut aller. Un matin, alors que son père cuve encore sa cuite de la veille, Addidas découvre un passage vers un monde souterrain où d’étranges créatures aussi noires que le charbon se démènent pour faire fonctionner d’immenses machines. Il n’en faut pas plus pour nous inviter à plonger dans ce récit, comprendre ce monde et en percer l’intrigue.

Tout au long des six tomes de cette saga, Pierre Wazem (Le Chant des pavots, La Fin du monde, Monroe, Promenade(s), Sous-sols et Week-end avec préméditation) et Frederik Peeters (Aâma, Château de sable, Lupus, Pachyderme, Pilules Bleues et RG) invitent à suivre les aventures incroyables de cette petite ramoneuse aux cheveux ébouriffés et aux grands yeux pétillants de vie. La naïveté de cette fillette profondément attachante émeut. Portant un regard innocent sur les choses, elle n’en est pas moins parfois incroyablement adulte. La relation très mature qu’elle entretient avec son père et sa santé préoccupante, renforcent encore l’empathie envers cette petite à l’imagination débordante. Au fil des pages, elle intrigue et attendrit, et lorsqu’elle tombe nez à nez avec une créature couleur ébène dans des souterrains angoissants, le lecteur l’accompagne volontiers et plonge corps et âme dans l’inconnu.

L’histoire débute au sein d’une mégapole fortement industrialisée, dont les sous-sols sont parsemés d’êtres étranges. C’est donc cette ville surplombée d’immenses cheminées, qui intéresse particulièrement ces quelques membres de K.BD, prêts à tout pour combler une thématique mensuelle particulièrement urbaine, faite de banlieues, de rues envahies par la suie… et de cheminées crachant une fumée envoutante sur une histoire sombre et poétique à la fois. Si cet endroit n’a rien de réjouissant à la base et que le métier de la petite et sa maladie complètent l’atmosphère triste, le contraste entre cet univers peu reluisant, à la frontière entre le rêve et la réalité, et cette petite héroïne attachante au possible, fonctionne à merveille. C’est dans les entrailles de cette cité qu’Addidas semble chercher refuge, se mettant à rêver de la campagne : un endroit étrange et mystérieux qui n’existe plus que dans les souvenirs et dans quelques livres. Fantasmant sur ce lieu qui sonne comme une promesse lointaine, la petiote s’atèle alors à créer un monde parfait, sans les contraintes du réel, tel un démiurge devant sa création.

Débutant sous les allures d’un conte pour enfants, le ton de l’histoire se durci néanmoins progressivement, tout en parvenant à garder une certaine légèreté, ainsi qu’un côté poétique. Multipliant les rebondissements et les rencontres insolites, la lecture regorge de surprises et d’émotions. Malgré une scène de torture assez poussée qui dénote totalement avec l’esprit du reste de cette saga onirique pleine de tendresse, le voyage s’avère passionnant et les nombreux mystères finissent par se dévoiler dans un final aussi inattendu que grandiose. Fable métaphysique totalement imprévisible, échappant à une compréhension pleine et entière, cette histoire semi-réaliste s’épanouit ainsi dans une conclusion onirique qui donne au récit une autre dimension.

Cette bande dessinée en grande partie muette se lit certes assez vite, mais chaque silence et chaque non-dit s’avère riche en sentiments et les quelques dialogues sont d’une grande justesse et viennent merveilleusement peaufiner la psychologie de protagonistes qui évoluent sous nos yeux, nous font réfléchir et nous émeuvent. Tout au long de la lecture, les textes et les dessins se complètent d’ailleurs à merveille. Si le lecteur a parfois l’impression de se perdre dans cet univers onirique métaphorique, ne sachant plus très bien situer la frontière entre le réel et le rêve, il finit néanmoins par saisir le sens de ce scénario original. Il peut alors relire l’ensemble et savourer une nouvelle fois ce récit qui invite à réfléchir sur des thèmes importants tels que la mort, l’industrialisation, la création et le sens de la vie, pour finalement constater que, quoi qu’il arrive, l’homme retombe toujours dans ses travers, croquant à chaque fois la pomme, en avalant le ver qu’elle contient…

David parle d’une belle série, douce et poétique, qui apporte un peu de fraicheur et d’imagination dans un paysage éditorial qui en a bien besoin. Champi est totalement sous le charme et évoque deux auteurs qui, l’air de rien, à partir d’une petite histoire mystérieuse, abordent des questions fondamentales. Mo’ a apprécié cet univers, cette petite fille… et tout le reste et, ayant éprouvé du mal à trouver les mots justes, elle classe volontiers cette lecture parmi celles que l’on garde jalousement pour soi, comme un petit plaisir solitaire. Choco ponctue ce concert de louanges en mentionnant un chef d’œuvre de poésie, de tendresse et d’amour, une œuvre unique qui rend hommage au pouvoir de l’imagination et du rêve face à la bêtise des hommes. Quant à moi, je me joins aux autres en considérant cette saga comme une lecture indispensable !

Si tous les membres de K.BD vous recommandent donc vivement cette série, avant de vous y mettre, il vous restera néanmoins un choix cornélien à
effectuer entre l’édition intégrale en noir et blanc et les six tomes en couleurs. Le trait dense, expressif et dynamique de Frederik Peeters et sa grande maîtrise du noir et blanc permettent de faire passer des émotions fortes à travers les yeux et les visages des personnages et de brosser l’héroïne avec toute l’énergie que le dessin peut porter. Ses noirs profonds sont également parfaits pour creuser les entrailles de la terre, contribuant ainsi à mettre en place un monde de suie et de cendre, cohérent et délicieusement mystérieux. Si le dessin de Peeters se passe volontiers de couleurs, ces dernières, réalisées ici par Albertine Ralenti, accompagnent avec brio les passages entre les différents univers proposés au fil de l’histoire. Cette colorisation subtile, aux teintes d’une grande justesse, accentue les différentes atmosphères, accompagne le lecteur à chaque instant et donne encore plus d’ampleur, de chaleur et de lumière à cette géographie urbaine assombrie par les cheminées, la fumée et la résignation.

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Une réponse "

  1. […] Ducoudray, Guillaume Singelin), 2011, Ankama. Horologiom (Fabrice Lebeault), 1994, Delcourt. Koma (Frederik Peeters, Pierre Wazem), 2003, Les Humanoïdes associés. Manabe Shima (Florent Chavouet), […]

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