Dernier acte de notre thématique vouée à la narration à la première personne, L’arabe du futur nous emmène cette fois sur les traces du jeune Riad. Après l’enfance polonaise (Marzi), japonaise (La vie de Mizuki) et belge (Couleur de peau : miel), c’est maintenant celle balancée entre la France – pays de naissance – et le Moyen-Orient – pays d’adoption, origines du paternel – que nous nous apprêtons à visiter.
Il est assez drôle de voir par ailleurs que nous n’avons retenu que des biographies réelles dans nos lectures là où nous aurions pu envisager une histoire fictive… et avec Riad Sattouf rien d’impossible, car l’auteur formé à l’humour chez Fluide Glacial (le primé Pascal Brutal) et Charlie Hebdo (La vie secrète des jeunes), se décrivant petit avec une longue chevelure blonde, aurait très bien pu nous tendre un piège. Que nenni, il s’agit bien de son histoire !
Une histoire qui, bien qu’elle soit ancienne (les années 80), reste toujours dans l’actualité. La faute à des dictateurs ayant défrayé la chronique ces dernières années (Mouammar Kadhafi en Lybie) ou dont la consonance ne nous est pas étrangère (Hafez el-Assad en Syrie, père du controversé Bachar). Des chefs d’États qui ont fait du panarabisme leur crédo tandis que le géniteur du petit Riad s’en nourrissait allègrement, lui qui a refusé l’illustre Oxford pour un avenir incertain à Tripoli.
Mais ce qui fait le sel de cette série c’est surtout la considération à hauteur d’enfant de cette jeunesse tripatride, forcément un peu subjective. Riad n’est pas en âge de comprendre la discrimination qu’il subit au Moyen-Orient (sa blondeur notamment, associée aux juifs) et il se crée un décalage fort entre la narration naïve et la cruauté de certaines paroles ou de certains gestes, vu de notre œil adulte. La place de la femme dans la société a également de quoi faire bondir nombre de lecteurs, qu’ils soient féministes ou pas. Étrangement, nous sommes nombreux à nous être posé la question de la mère de Riad qui suit docilement son mari sans craquer (du moins pas dans les deux premiers opus).
Ce mécanisme de décalage amène l’humour, omniprésent dans l’album et suffisamment bien foutu pour nous tenir en haleine tout du long.
Si nous, occidentaux, ne comprendrons probablement jamais le droit de propriété libyen (ahah) ou la collecte des impôts syrienne sur les maisons achevées (uhuh), force est de constater que les jeux du monde entier se ressemblent ici ou ailleurs (à part peut-être l’épisode footballistico-canin). Tout ne nous est donc pas étranger !
Graphiquement, Riad Sattouf nous entraine dans des ambiances différentes selon les pays traversés : des bichromies teintées de bleu pour la France, d’orange en Libye et de rose pour la Syrie. Des couleurs à peine rehaussées de rouge ou de vert sur certains détails clefs de la narration.
Quant au dessin, il fleure bon la caricature avec ses gros nez. Le trait y est lisible et net et la simplicité est de rigueur, les décors se résumant au strict nécessaire.
Au travers de cette biographie, nous pourrions voir une certaine critique de la parentalité mais l’auteur instaure une distance qui ne nous permet pas d’y prétendre. Au contraire, une certaine forme d’idolâtrie transparaît au fil des pages, de ce père merveilleux capable de dessiner une Mercedes (avec des roues plates) ou de lancer une balle tellement fort qu’elle se perdait par delà les immeubles. Un père qui a en tout cas toujours mis en avant l’éducation de son fils.
Riad Sattouf incarne-t-il l’arabe du futur tel que le voyait son paternel ? Probablement pas… quoique ?
Nous l’avons dit :
Badelel : « Riad Sattouf décrit ici une enfance bousculée par la différence, par le choc des cultures, coincée entre deux éducations (occidentale et musulmane). »
Champi : « […] L’arabe du futur doit peut-être son succès, au-delà de ses qualités intrinsèques (histoire, narration, dessin) à l’écho qu’il nous renvoie de l’actualité des dernières années, forte des « printemps arabes » et des guerres civiles qui continuent de faire la une de nos journaux et de faire trembler le monde bien au-delà des rivages de la Méditerranée. »
Lunch : « Sattouf relate donc avec beaucoup d’humour la difficulté de grandir dans un pays différent, sans savoir vraiment ce que le mot différent signifie. »