entete saison brune

« Le scénario catastrophe ne se distingue pas beaucoup de la voie que nous suivons actuellement. Il commence par une consommation sans cesse croissante de combustibles fossiles (c’est-à-dire l’évolution présente) puis se prolonge avec une nature qui prend le relais pour devenir à son tour émettrice nette de gaz carbonique. Et personne ne peut évaluer l’élévation de température à terme qui pourrait découler d’un tel enchaînement. » (Jean-Marc JANCOVICI)

« Toi, tu es parti pour y consacrer tout un livre !
_ Pas du tout ! 
»

Les faits donnèrent finalement tort à Philippe SQUARZONI : le réchauffement climatique et plus largement les questions environnementales, écologiques, économiques, politiques, sociales et démographiques ne pouvaient se résumer à un petit chapitre de Dol, son précédent ouvrage.
L’auteur n’avait pas encore terminé son bilan des ultralibérales années Chirac qu’il mettait déjà en route Saison Brune, un pavé (de 477 pages) dans la mare de la société de consommation dans laquelle nous pataugeons.

Avec sa curiosité et sa méticulosité habituelles, l’auteur ne pouvait se contenter de glaner quelques informations dans des ouvrages de vulgarisation et des articles de controverse : après avoir « dévalisé le rayon environnement », il se penche sur les rapports, les données, les bilans, rencontre des scientifiques en tous genres (climatologues, économistes, sociologues…) et nous fait entrer dans l’intimité de la conception d’un album à travers les questions qu’il se pose, que se pose sans doute chaque lecteur de Saison Brune, et les réponses que l’on peut trouver.

Des réponses factuelles, des données, des analyses partagées par l’ensemble de la communauté scientifique internationale, moins souvent relayées par la presse, mais aux conclusions sans appel : au mieux, il est trop tard.
Depuis la Première Révolution Industrielle, les activités humaines ont profondément changé la composition d’une partie de l’atmosphère et, de fait, le climat. Lentement mais sûrement il évolue, se réchauffe, mais toujours en décalage : le temps que la nature encaisse les nouvelles émissions de gaz à effet de serre, il faut compter entre 20 et 30 ans. Autant de temps avant qu’une quelconque décision de réduction d’émission de ces gaz ait donc un quelconque impact.

Le seuil fatidique (pas celui au-delà duquel il y aura de moins en moins de ressources fossiles, mais celui au-delà duquel les changement climatiques seront irrémédiables) a sans doute été franchi, mais nous ne le saurons que dans quelques années, quand il ne sera plus possible de faire machine arrière.

Pessimiste, Philippe SQUARZONI ? Réaliste, en tout cas, et objectif. Et, en matière de fin du monde (le thème de notre cher et peut-être dernier mois de décembre ?), particulièrement inquiétant car non-fictionnel. Mad Max peut aller se rhabiller.

Tous nos rédacteurs (et ils ont été nombreux, malgré l’ampleur de la tâche) se sont accordés pour reconnaître à Saison Brune ses qualités informatives : David F. évoque un « ouvrage remarquable et terrifiant à la fois », Lunch apprécie que « l’écologie soit enfin à notre portée, sans rattachement politicien », Nico annonce que « nous allons tout comprendre », et pour Sarah l’ouvrage est à mettre « de toute urgence entre toutes les mains ». Mo’ apprécie le fait que l’auteur « nous permette d’entrapercevoir la partie immergée de l’iceberg ». Rien de nouveau pour Yvan, toutefois, pour qui « il faudrait être aveugle pour ne pas voir qu’on va droit dans le mur ».

Ici pourrait s’ouvrir un premier débat : qui est vraiment aveugle ? Qui se ment ? Qui s’en fout ? J’ai bien quelques éléments de réponse, mais je les réserve pour les commentaires à venir.

Au-delà du constat, Saison Brune soulève de nombreuses interrogations sur la responsabilité de chacun dans l’état actuel du monde, et sur le rôle que nous pourrions jouer. Philippe SQUARZONI, à travers ses ouvrages précédents (Guarduno, Torture blanche), a souvent mis en avant son engagement pour ou contre telle ou telle cause (la guerre, bien souvent).
Ici, il réalise combien il est difficile d’agir. « Nous sommes à la fois les victimes et les responsables », souligne Sarah. Constat partagé par tous : «  le confort dans lequel nous vivons est bien trop apaisant », reconnaît Yvan. « Jusqu’où peut aller notre engagement ? » questionne David F. « Je suis coincé dans un monde de consommation dont il sera bien difficile de m’extraire », avoue Nico. A tel point que le « constat est suffocant », conclut Mo’. Quant à Lunch, il pense que « nous pourrions modifier nos comportement, mais l’Etat ne nous le permet pas ».

En questionnant la société et sa propre place en son sein, l’auteur aborde la délicate question de la responsabilité et de ce que chacun est prêt à faire.
Faut-il prendre l’avion pour répondre à l’invitation d’un centre culturel quelque part en Asie, ou refuser pour ne pas alourdir notre bilan carbone ? Faut-il cautionner le monde ultra-consumériste dans lequel nous évoluons ou lutter contre ? Et si oui, comment ?
Si SQUARZONI répond à de nombreuses questions, il ne se permet aucune leçon, n’offre aucune solution – si tant est qu’il y en ait une. Tout au plus souligne-t-il l’urgence de prendre, enfin, une décision.

« Dans le Montana, il existe une cinquième saison, un moment suspendu entre l’hiver et le printemps, entre le gel et le dégel. Une « saison brune » intermédiaire, où les glaces ont commencé à fondre… mais où le printemps n’a pas encore affirmé sa présence. Pourtant il faudra bien mettre fin à l’indécision. »

La saison brune ne peut pas durer éternellement.
Mais serons-nous assez forts pour prendre les décisions individuelles qui s’imposent (j’ai employé dans ma chronique le gros mot de « décroissance »), et le système politique, croulant sous la pression de l’ultralibéralisme, aura-t-il le pouvoir et le courage nécessaires pour reprendre en main l’avenir de la planète et, accessoirement, de ses habitants ?
L’avenir nous le
dira (et, une fois encore, je garde mes réponses pour les éventuels commentaires).

Parlons enfin un peu de la forme : là encore, belle unanimité concernant la richesse graphique et les nombreuses références : littérature, cinéma, narrations sous toutes leurs formes, publicités, images, icônes, mais aussi introspection, enfance… Autant de matière visuelle et narrative qui fait écho à nos vies et notre environnement culturel (David F. évoque « un livre sur la famille, le souvenir »). L’auteur interroge sa posture de raconteur, de créateur, et l’inscrit dans une histoire plus globale des récits.
Approche un peu « laborieuse » en matière d’introduction, pour Lunch, mais redoutablement efficace.

Lunch reproche également les « portraits qui parlent » utilisés pour rendre compte des interviews, qui alourdissent l’ensemble. Il reconnaît par contre l’intérêt des références graphiques. Des « trouvailles qui piochent dans l’imagerie collective » (Yvan), « une utilisation des images publicitaire tantôt ironique, tantôt sarcastique » (Mo’), « un trait juste qui apporte beaucoup au contenu » (Nico), « un trait un peu froid, mais une mise en case rigoureuse » (Sarah). A n’en pas douter, SQUARZONI interroge perpétuellement son moyen d’expression.
Autre reproche partagé par certains : les répétitions. Pour Lunch (toujours lui !!), elles alourdissent le récit, et nécessitent une « lecture morcelée ». Pour Mo’, elles « aident le lecteur à mémoriser les informations importantes ». Il faut reconnaître que la somme est colossale…

Quelle conclusion apporter à tout cela ?

« Tu connais cette phrase de Woody Allen ? « J’aimerais terminer sur un message d’espoir. Je n’en ai pas. En échange, est-ce que deux messages de désespoir vous iraient ? »
_ Tu vas finir ton livre comme ça ?
_Non…
 »

J’avais conclu ma chronique de Saisons Brune par une autre citation de l’auteur : « Je peux me tromper ».
Affaire à suivre.

Une chose est sûre : à défaut de changer le monde, la lecture de Saison Brune, « malheureusement indispensable » (Nico) alimentera bon nombre de débats sur la question.
Quant à savoir si elle changera la face du monde, c’est une autre histoire.

avatar champi couleur transp

Une réponse "

  1. […] Pome ou les petites choses (Johan Troïanowski), 05/2012, L’Atelier du poisson soluble. Saison brune (Philippe Squarzoni), 03/2012, Delcourt. Samba Bugatti (Jean Dufaux / Griffo), 05/1992, Glénat. […]

  2. […] La 31. Printemps à Tchernobyl, Un 32. Rork – l’intégrale 1 33. Ruche, La 34. Saison brune 35. Scalped 36. Sentiments du Prince Charles, Les 37. Supplément d’âme 38. Temps est […]

  3. […] tirait de ce procédé (lu mais une simple chroniquette sur le blog, je vous renvoie vers la synthèse kbd). On mesure tout le décalage entre l’objectif commercial (et l’idéal de vie qu’il […]

  4. […] impression de « passage du coq à l’âne. » (Bidib). Lorsque nous vous avions présenté Saison brune, nous avions déjà pointé cette sobriété de la forme (du noir et du blanc traçant un réalisme […]

Laisser un commentaire