toppi

Sergio Toppi est un grand maître de la bande dessinée italienne. Hélas, trop nombreux sont ceux qui l’ignorent encore. C’est pourquoi, après notre hommage à Jean Giraud, nous avons souhaité nous pencher sur cet auteur hors-norme qui nous a quitté en août 2012 à l’âge de 79 ans.

Sergio Toppi est né en 1932 à Milan. La guerre fait fuir sa famille à la campagne et l’enfant découvre la nature qui deviendra prégnante dans son œuvre. Il débute le dessin au lycée mais s’inscrit en faculté de médecine. Il se rend vite compte de son erreur et commence à travailler comme illustrateur avant de rejoindre les frères Pagotto, créateurs des studios de dessins animés Pagot. Le premier contact avec la bande dessinée se fait grâce à une revue où Sergio découvre Hugo Pratt et Dino Battaglia. En 1960, il réalise sa première BD au journal Corriere dei Piccoli, véritable institution nationale et commence son parcours de dessinateur. 4 ans plus tard, il fait connaissance avec Battaglia qui devient rapidement un ami. Ce dernier lui ouvre quelques portes. Il collabore avec Milo Milani qui lui offre toute liberté dans la composition de ses planches, il rencontre le père Colosanti et travaille pour son journal paroissial. A l’étroit dans les codes classiques de la BD, Toppi pose dès lors les bases de son futur style qui consiste à ne plus tenir compte des cadres fixes des vignettes. Il apprend à scénariser une histoire, à utiliser la couleur. Dans les années 70, il fait la rencontre capitale de l’éditeur Sergio Bonelli qui lui propose de dessiner 3 épisodes de la série Un homme, une aventure. Dargaud les publiera pour la France sous les titres : L’homme du marais, L’homme du Nil, L’homme du Mexique. A partir de 1975, il collabore avec la revue Sgt Kirk (fondée par Hugo Pratt) dont il signe certaines des couvertures, et d’autres revues transalpines. C’est dans Linus et Alter Alter qu’il offrira un de ses plus grands chefs-d’œuvre, Sharaz-De, dont nous vous avons déjà parlé. Cette adaptation des Contes des Mille et Une Nuits va se révéler majeure, bien qu’elle ne sera reconnue que bien plus tard. Suivra la série mythique du Collectionneur sur laquelle nous allons revenir. En 1983, la revue Corto Maltese voit le jour et Toppi y participera activement.

Un gentleman collectionneur

C’est en 1982 que débute la publication de sa série Le collectionneur avec son premier opus : Le calumet de pierre rouge. Suivront L’Obélisque abyssin (1983), Le joyau mongol (1984), Le sceptre de Muiredeagh (1986), et Le Collier de Padmasumbawa (2006).
Dans cette première histoire comme dans les 4 autres titres de la série, nous découvrons un homme aux manières irréprochables qui a élevé l’élégance et la politesse au rang d’art de vivre. On ignore son nom, son passé mais il surgit toujours de nulle part pour mieux traquer les objets rares. Car notre dandy cow-boy est un grand collectionneur, prêt à tout pour réussir dans sa quête, quitte à prendre des vies ou à y laisser la sienne : « Un collectionneur, mon ami, doit être prêt à tout. ».
Un personnage individualiste, motivé par l’appât du gain, mais au sens de l’honneur et de l’amitié fort. « C’est un homme solitaire qui tient de l’aventurier tout autant que du dandy de salon. Il ne se départ de sa distinction en aucune circonstance mais peut se révéler dur et violent si les circonstances l’exigent. » (Choco). Ainsi l’a voulu son créateur qui souhaitait s’inscrire en réaction aux clichés du héros d’aventure classique. Lui conférant un aspect mystérieux et même fascinant, il en fait un « beau salopard » (Sergio Toppi), qui ne s’accompagne d’aucun ami, d’aucun faire-valoir. Il oppose à toute résistance une volonté farouche qui lui confère pouvoir et puissance. Sans morale, il n’hésite pas à tuer ou neutraliser ses adversaires dès lors qu’ils entravent sa volonté. « Il fait mouche, ne s’encombre pas de futilités, témoigne d’une confiance en lui impressionnante et s’arme parfois de magie pour vaincre un adversaire encombrant. Rien ne peut le faire changer d’avis… » (Mo’).
« En bon samaritain, il défend les opprimés, mais c’est plus une manière déguisée de déplacer à sa manière des pions sur l’échiquier. Car il ne sert que ses intérêts et certaines alliances lui permettront d’atteindre son but. Il met les autres en dette vis-à-vis de lui pour atteindre les objets convoités et ainsi compléter sa collection » (Mo’). Une collection d’objets rares – et donc précieux – dont la particularité est d’avoir tous côtoyé l’Histoire.
« Je ne collectionne que des objets qui revêtent pour moi une signification particulière. Des objets qui ont « vécu », protagonistes d’histoires que moi seul connaît grâce à mes recherches. Une fois que je les ai obtenus, je me le réserve. Plus personne ne les verra. »

Nous emmenant au cœur de Bornéo sur les traces d’une larme d’un roi mongol, en Nouvelle-Zélande pour retrouver un bâton magique ou au milieu du désert américain à la recherche d’un mystérieux calumet, Toppi nous fait voyager à la rencontre des peuples du monde et prend plaisir à nous faire partager sa passion pour leurs croyances et leurs légendes ancestrales. Ici, l’énigmatique aventurier jette son dévolu sur l’Amérique du Nord, dans des territoires qui, en cette fin de XIX° siècle, sont déchirés par les ultimes affrontements entre les Amérindiens et leurs envahisseurs.
Dans cette aventure, c’est un calumet de pierre rouge qui fait l’objet de la convoitise du collectionneur. Sa magie vient de ce qu’elle offre de voir l’avenir dans les volutes de ses fumées. Après moult propriétaires, le vénérable et puissant objet est entre les mains d’un chef de guerre sioux qui attend une grande bataille à venir, celle de Little Big Horn. Une fois encore, le Collectionneur a rendez-vous avec l’Histoire, une fois encore il ne se contentera pas d’en rapporter un objet-souvenir, et une fois encore il ne livrera son récit – et ses secrets – qu’aux lecteurs que nous sommes, et non à ceux du Pipe Workers Weekly.
« J’ai beaucoup de plaisir à introduire dans mes récits ces évènements historiques réels » avoue Sergio Toppi.
Le Collectionneur restera d’autant plus unique et remarquable qu’il restera le seul personnage récurent dans l’œuvre de Toppi.
« (…) ce qui m’intéressait dans la bande dessinée c’était de pouvoir balayer un vaste champ, la possibilité de passer d’une époque à l’autre me fascinait, se lier à un personnage, c’est restreindre cette liberté. » (Sergio Toppi)

Un dessinateur hors-norme

« Entre les grands espaces qu’offre l’Amérique du Nord, et les visages fiers et rugueux des guerriers amérindiens, l’auteur peut laisser libre cours à son trait inimitable et magique qui, sur fond d’aplats noirs ou blancs en lutte permanente, se décompose en une multitude de hachures qui donnent à la matière une densité rarement égalée en bande dessinée. » (Champi)
Au fil des années, l’auteur s’est créé un style graphique original et inimitable, rappelant la technique de la gravure et de l’eau-forte dont il est amateur. Fasciné par le contraste noir et blanc, Toppi en a fait un choix de prédilection : « Je trouve que le dessin a plus de force ».
De fait, le choix de la plume et du noir et blanc confère une force incroyable à un dessin aux traits hachurés qui se révèle d’autant plus remarquable par le travail de construction de la page, affranchie des règles traditionnelles de la case.
Toppi s’est en effet peu à peu libéré des limites de la vignette et n’hésite pas à faire sortir des éléments de l’image en dehors du cadre. Il rompt les schémas habituels et développe son histoire en tenant compte de l’esthétisme de la page en son ensemble. L’utilisation des phylactères ronds, leur insertion dans la composition globale de la page, les vignettes qui s’étalent en verticalité suivent la même logique.
« Son art de la mise en scène déconstruit la page et met en relief personnages ou détails marquants qui débordent sur les cases adjacentes ou se déploient sur la moitié des pages. » (Choco)
Loin d’offrir un travail brouillon et confus, le style hachuré s’offre dans un luxe de détails qui fascine.
« Les arabesques des roches, écorces, tissus, bijoux, tapissent chaque planche d’une force et d’une élégance à la fois étouffante, aérienne et vibrante : le monde dessiné par Toppi est une trame parfaite, une toile dont le lecteur, rapidement happé, ne peut s’échapper avant d’avoir refermé la dernière page. » (Champi)
« Une impression de grands espaces en ressort, les montagnes sont colossales, les forets luxuriantes. On découvre l’immensité des territoires désertiques. » (Mo’)
On retrouve chez le dessinateur une certaine fascination pour l’histoire, l’art ethnique et le fantastique. Le point de départ est toujours ce souci esthétique d’une histoire qui débute par une image, un élément graphique autour duquel l’auteur construit un récit, toujours soutenu par une forte base documentaire, qu’elle soit historique, géographique ou ethnologique.

Depuis une vingtaine d’années, les éditions Mosquito, sous la houlette de Michel Jans, remettent à l’honneur le travail du grand dessinateur qu’était Sergio Toppi : rééditions de qualité suivant une logique thématique, nouvelles collaborations avec l’auteur, organisation de nombreuses expositions dont la dernière en date, à Thiers, fut une réussite. Le tout concourt à une reconnaissance tardive mais affirmée du grand talent de ce dernier représentant d’une école graphique italienne qui comptait dans ses rangs Battaglia ou Pratt.
Alliant art de la narration et dessins époustouflants, ce formidable raconteur d’histoires qu’est Toppi nous a offert une œuvre marquante que tout amateur de bande dessinée se doit de découvrir.
Si vous ne connaissez pas encore l’homme et ses albums, nous ne pouvons que vous encourager à les découvrir ! Pour les autres, sa disparition laissera un grand vide…

Nous l’avons dit :

Champi : « Toppi fait partie de ces auteurs incontournables à découvrir absolument. »
Choco: « Un auteur indispensable, tout simplement. »
Mo’ : « Un voyage graphique assuré et une fascination pour ce personnage intelligent et subtil. »

Pour aller plus loin :
Entretien de Sergio Toppi sur le site du9
Toppi, une monographie, Éditions Mosquito, Mars 2007.
– Les œuvres de Toppi aux Editions Mosquito

Choco

Une réponse "

  1. Michel Jans dit :

    Merci pour ce beau focus sur un auteur exceptionnel.
    Amicalement, Michel Jans

    • Choco dit :

      Merci à vous surtout d’avoir soutenu Sergio Toppi et de continuer à nous faire découvrir cet artiste d’exception. Pour ma part, j’attends avec impatience les prochains ouvrages que vous annoncez !

  2. […] Jean TABARY (15 mars 1930 – 18 août 2011) – TIBET (29 octobre 1931 – 3 janvier 2010) – Sergio TOPPI (11 octobre 1932 – 21 août 2012) – Carlos TRILLO (1er mai 1943 – 8 mai […]

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