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Lors de nos débats pour le choix des albums de notre thématique, il y a parfois des noms d’auteurs qui arrivent très naturellement. Dans la thématique du manga dit « autrement » celui de Kiriko Nananan est apparu presque immédiatement.

Dans le monde encore masculin de la BD, les femmes ne sont pas si fréquemment représentées. Si des auteurs comme Osamu Tezuka, Naoki Urasawa, Akira Toriyama ou Katsuhiro Otomo viennent rapidement à l’esprit lorsqu’on évoque le manga, leurs homologues féminines telles Ryoko Ikeda (La Rose de Versailles), Kyoko Okazaki (la créatrice du Josei avec notamment Pink) ou Ai Yazawa (Nana) ne bénéficient pas toujours de la même reconnaissance. Pourtant, elles n’en demeurent pas moins talentueuses et ont offert chacune à leur époque une approche novatrice.

Kiriko Nananan est l’héritière (et contemporaine) de cette génération de femmes mangaka. Née en 1972, elle a seulement 21 ans lorsque ses premiers travaux sont publiés dans la mythique revue d’avant-garde Garô. Pour information, disparu en 2002, ce magazine a vu naître et s’épanouir des auteurs aussi prestigieux que Shigeru Mizuki ou Yoshiharu Tsuge (liste non exhaustive). Quelques années plus tard, à 24 ans, elle publie son premier manga « Water » et enchaine l’année d’après avec l’œuvre que nous chroniquons aujourd’hui.
Blue est l’histoire de deux jeunes lycéennes, Kayako et Masami. L’une est une jeune fille modèle un peu solitaire dont le plaisir quotidien est d’aller contempler la mer sur le brise-lame près de l’école. L’autre est rebelle et mystérieuse, d’étranges bruits courent sur son compte. Pourtant, la fascination, l’amitié et enfin l’amour réciproque viennent se mêler à la ronde du quotidien de ces deux jeunes femmes en devenir.

A première vue, comme le souligne Yvan, le scénario paraît sans grand intérêt. Mais c’est sans compter sur le traitement graphique réservé par Kiriko Nananan dont nous soulignons tous la très grande qualité. Par ce trait reconnaissable entre tous, très épuré, jouant sur un découpage qui laisse une grande part à l’espace vide, rognant à la fois les détails mais capable d’une très grande finesse dans les attitudes et les regards, Kiriko Nananan offre une grille de lecture qui lui permet d’éviter l’histoire à l’eau-de-rose. Au contraire, le simple fil de son trait laisse une grande place au silence et permet ainsi à la sensualité, à la sensibilité et aux sentiments humains de prendre tranquillement leurs places. Comme le souligne Champi avec son élégance habituelle, le noir et le blanc de ce dessin laisse transparaître la couleur, celle du bleu du ciel et de la mer si présente dans le récit. Cependant, cette arme graphique redoutable est à double tranchant car ce trait demande parfois un décryptage, obligeant le lecteur à s’arrêter de temps en temps afin de déterminer qui et qui. Chose qui a beaucoup gêné Lunch.

Mais, comme le souligne Mo’, grâce à son approche Kiriko Nananan s’offre aussi un espace de liberté totale. Sujet principal de son œuvre générale, la jeunesse et plus particulièrement les femmes s’affranchissent pour un temps – et pour un temps seulement – des conventions japonaises si lourdes. Franchir l’interdit et le dépasser. Blue n’est pas donc pas qu’une histoire d’amour homosexuelle, c’est aussi un point de vue presque sociologique sur les femmes, une histoire qui devient ainsi universelle. Finalement, Blue se déroule dans un naturel et un rythme presque surréaliste pour un manga. Pas de rupture mais une progression à la fois graphique et narrative qui emmène irrémédiablement vers un final à la fois beau et sobre.

Pour terminer, Yvan et Lunch ayant été génés par l’aspect graphique sont sans doute les plus critiques ; Mo’ a apprécié et reconnaît l’intérêt du travail de cette mangaka ; Badelel, Champi et moi-même sommes les plus enthousiastes n’hésitant pas à utiliser les termes de « rare beauté », de magistral ou d’œuvre majeure.

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Une réponse "

  1. Joelle dit :

    Il me semble qu’il est à la biblio mais je n’avais pas été très tentée de l’emprunter jusqu’à présent ! Pourtant, cela m’a l’air vraiment intéressant (mais par contre, je crains pour la difficulté de reconnaitre qui est qui !)

  2. Lunch dit :

    En fait, les personnages on les reconnais quand même un peu si on fait attention. La fille dont est amoureuse Kayako, Masami, je trouve que l’auteure a vraiment mis tout son amour à dessiner son visage : fin, harmonieux et avec des yeux un peu envoûtants. Moi c’est plutôt dans les noms des personnages secondaires que je me suis perdu. Il faut dire qu’au Japon, et David le souligne dans sa chronique sur son blog, on peut appeler quelqu’un avec son nom de famille ou son prénom selon s’il est intime ou pas avec soi. Je savais ça, mais les noms et prénoms sont pas forcément associés ensemble dès le départ, d’où mes difficultés.

  3. […] Intégrale (Taiyou Matsumoto), 2007, Tonkam Bambi (Atsushi Kaneko), série débutée en 2006, Imho Blue (Kiriko Nananan), 2004, Casterman Le Champ de l’arc-en-ciel (Inio Asano), 2008, Panini […]

  4. […] également l’avis de David sur K.BD […]

  5. […] → à lire aussi la synthèse sur K.DB […]

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