traverseedulouvre

Mesdames et messieurs, bienvenus au Musée du Musée du Louvre en Bande Dessinée.
Cette institution novatrice a été créée en 2005 et accueille des œuvres d’exception dans un cadre d’exception.
A votre droite, vous pouvez voir les salles Période Glaciaire et Le Chien qui louche. A votre gauche, le labyrinthique espace Sous-sols du Révolu.
Devant nous s’ouvre la vaste galerie dite de La traversée du Louvre, que je vous invite à visiter avec moi aujourd’hui.

Comme vous pouvez le constater, David PRUDHOMME, a qui nous avons confié la scénographie, a adopté un parti-pris des plus original, que je vous laisse découvrir par vous-même.

« En se mettant en scène au téléphone, l’auteur développe une narration originale, où ce qui n’est pas dit est tout aussi important que l’explicite », non ?

_ Tout à fait, mademoiselle LivrOns-nOus. Vous permettez que je vous appelle ainsi ? Monsieur PRUDHOMME a su faire preuve de silence, ce qui est loin d’être une règle dans le monde souvent bavard de la Bande Dessinée : regardez comme les bulles, abondantes au début, laissent soudain la place à plus de silence… et donc à plus d’espace par la suite. Autant d’espace dans lequel on peut laisser notre esprit vagabonder…

_ Il me semble que « l’auteur s’aide de son postulat de départ pour associer / dissocier en permanence tous les éléments de son environnement. Il crée ainsi un méli-mélo visuel qui force le lecteur à s’arrêter régulièrement pour explorer chaque recoin de cases. »

_ C’est exactement ça, Mo’ (vous êtes bien Mo’, c’est ça?) : chaque respiration crée une sorte d’aspiration dans laquelle le regard s’égare, se perd un peu. La narration semble se suspendre et créer, dans les cadres des cases, de petits espaces clos dont on a du mal à sortir.

_ Comme un contre-pied du travail de Nicolas DE CRECY, en fait ?

_ En quelque sorte. Les deux auteurs ont su jouer sur un va-et-vient permanent entre le fluide et l’arrêt, la narration et la contemplation.

_ Bien plus, il me semble ! « Cette recherche devient le prétexte à une déambulation apparemment sans queue ni tête qui donne l’occasion au lecteur d’approcher aussi bien les œuvres que le public. »

_ En effet, LivrOns-nOus. Au-delà d’une exploration des différents genres artistiques (le 9ème art face aux beaux-arts), l’artiste a également souhaité porter un regard attentif et bienveillant sur ceux qui regardent.

_ « [Ces] humains qui regardent, dans toutes les positions, dans tous les recoins, par tous les artifices (notamment celui des écrans) [sont placés] dans un plaisant jeu de miroirs. »

_ C’est l’effet voulu, monsieur… Champi ? Les vitrines finissent par faire fusionner les reflets, comme si œuvres et humains ne faisaient plus qu’un.

_ « Les visiteurs du Musée [sont] à la fois Spectacle et spectateurs » !

_ Exactement, Mo’. Et rien ne nous empêche de penser que, à notre tour, en pénétrant dans cette œuvre, nous enrichissons le spectacle.

_ « [Cela] crée ainsi une interaction entre le lecteur et l’ouvrage… »

Mo’ s’arrêta un instant devant un corps de chair fixant un corps de pierre, ce dernier le lui rendant bien.

« La Traversée du Louvre traverse aussi le temps et les corps ». Fascinant ! Ajouta Champi.

_ C’est tout à fait cela : par le dialogue des formes sous toutes leurs coutures, leurs matières et leurs postures, l’artiste a créé un pont entre les époques pour les unir dans l’écrin du livre-musée.

_ Un véritable « choc des cultures et des générations ! […] L’auteur pose un regard amusé sur ses concitoyens mais soulève aussi de véritables questions sur la nature de l’art, sa place dans nos sociétés, l’importance du public… »

_ Un questionnement qui traverse l’histoire de l’art depuis le début du XXème siècle, LivrOns-nOus. Cette œuvre fait bien partie de cette profonde réflexion qui nourrit, interpelle, anéantit ou au contraire révèle bien des artistes depuis Marcel DUCHAMP.

_ « Par la grâce des visiteurs, les fragments peu à peu réunis de ce grand corps chargé d’art et d’histoire reprennent vie. »

_ Si vous voulez, Champi. Si vous voulez… Mais votre regard poétique vous éloigne peut-être de l’acuité analytique nécessaire pour appréhender l’œuvre dans toute sa densité et sa complexité.

_ Je vous demande pardon…

_ Prenez maintenant le temps d’admirer le trait, les couleurs, la vibration. PRUDHOMME a su, avec un style unique, réunir collections et visiteurs.

_ C’est vrai ! « Son parti pris graphique renforce l’intention : plutôt que d’utiliser des reproductions, il a préféré s’approprier les sculptures et surtout les peintures qu’il met en scène. »

_ Tu as raison, Champi. Et note comme « les grandes illustrations au fusain et crayons de couleurs accentuent cette atmosphère légère et évaporée, presque irréelle, qui pousse le lecteur à prendre son temps. »

_ Tu sais, LivrOns-nOus, moi je trouve surtout que les « contrastes des couleurs » font bien écho aux « chocs des cultures », non ? ajouta Mo’.

_ Vous avez tous raison, chacun à votre manière. L’expérience proposée est inédite, contrastée et pourtant unificatrice, éthérée et pourtant identifiable, fidèle et pourtant évocatrice. Du grand art !

Un tonnerre d’applaudissements retentit dans la grande salle où le groupe s’était arrêté.
Une fois le silence revenu un petit claquement régulier se fit entendre. Légèrement rapide. Il mourut à quelques pas de l’assemblée.

« Mesdames et messieurs, j’aimerais à présent vous faire profiter d’une surprise. Je vous demande de bien vouloir accueillir le maître, qui nous fait l’honneur de revenir dans nos locaux qu’il a si souvent arpentés, et auquel je vous laisse soumettre vos impressions. »

Les applaudissements reprirent de plus belle.
Sous sa chapka noire, David PRUDHOMME rougit et baissa la tête.

« Très vite, je n’ai plus eu l’impression de lire une BD mais de regarder un tableau. » C’est fantastique ! S’exclama LivrOns-nOus.

« Pour l’heure, c’est à mon sens l’album le plus accessible de cette ligne éditoriale qu’il m’ait été donné de lire. […] un ouvrage ludique et réflexif » admira Mo’.

« Plus qu’une histoire de regard, […] une histoire d’essence vitale », vibra Champi.

Le silence mit longtemps à revenir.
Les œuvres elles-mêmes, assemblées autour de l’artiste et de ses lecteurs-visiteurs, semblaient prendre part à l’ovation.

« Mesdames et messieurs, pour conclure notre visite, je vous propose de laisser la parole à l’auteur, afin qu’il nous enchante une dernière fois par ses mots. »

L’homme, le teint toujours un peu rose, releva lentement la tête. Ses yeux brillaient d’une passion malicieuse. Ils balayèrent l’assemblée, les murs, les vitrines, les plafonds même, puis se fixèrent dans un entre-deux que personne ne voyait vraiment mais que tous devinaient.

« J’ai l’impression de marcher dans une BD géante. Sur tous les murs, il y a des cases. »

Un long murmure d’approbation suivit.
La visite ne faisait que commencer.

Champi

Une réponse "

  1. […] Chien qui louche (Le), Étienne Davodeau (2013) – Fantômes du Louvre (Les),  Enki Bilal (2012) – Traversée du Louvre (La), David Prudhomme (2012) – Un Enchantement, Christian Durieux (2011) – Ciel au-dessus du Louvre […]

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